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Introduction

Les travaux préparatoires de ce forum ont montré que cette question est délicate. Elle peut se poser sous différents angles et points de vue selon les acteurs, exprimant des intérêts souvent divergents. Il peut s’agir du démantèlement des « rigidités » des modèles sociaux et du droit du travail pour « concilier » les exigences de compétitivité des entreprises avec les comportements imprévisibles des marchés. Il peut aussi s’agir de nouvelles approches pour « concilier » le besoin de sécurité et d’affirmation professionnelle des travailleurs avec les demandes d’adaptation des entreprises. Il peut également s’agir de la question de la répartition équitable des coûts dus aux changements ou encore de la conciliation des exigences individuelles de compatibilité entre la vie privée et l’organisation du travail.

La «conciliation» peut être dictée soit par les principes du marché concurrentiel et globalisé, soit par les principes de la cohésion sociale et le besoin d’assurer à chacun l’accès équitable au bien-être. Elle touche donc à des choix politiques ainsi qu’à des rapports de force à rétablir ou à maîtriser.

Il est vrai que le pacte social et l’Etat providence fondés sur le rôle intégrateur du travail s’appuient sur l’idée d’une réciprocité durable des bénéfices tant pour les entreprises que pour les travailleurs et sur la régulation collective comme mécanisme de conciliation des intérêts spécifiques. Cependant la flexibilité du travail frappe au cœur ce pacte social : elle introduit l’idée que le travail peut ne plus être un droit (incluant l’idée de sécurité dans le long terme) mais une condition sociale non liée au principe de réciprocité des bénéfices et dépendant de la conjoncture globale. Quels sont donc les termes de la conciliation de la flexibilité avec la cohésion sociale et quels peuvent être les champs d’une nouvelle régulation sociale ?

Le Conseil de l’Europe définit la cohésion sociale comme la capacité de la société d’assurer (par le biais des institutions, des forces du marché et des solidarités propres à la famille et aux citoyens) le bien-être de tous, en minimisant les effets de polarisation. La cohésion sociale renferme ainsi une notion de continuité, de construction de l’avenir à long terme, de processus démocratiques.

Le type de cohésion sociale qui s’est bâtie en Europe sur le modèle fordiste se fonde sur l’idée de stabilité, de cursus continu et de progression. En inscrivant le droit au travail dans les constitutions, les Etats ont fait de la protection des travailleurs le fondement des solidarités collectives présentes et futures. L’individu pouvait envisager l’avenir avec la certitude que le bien-être des nouvelles générations sera supérieur au sien. L’espoir de construire pour le futur devenait le catalyseur de la cohésion sociale.

Les définitions de la flexibilité font allusion aux formes diverses de discontinuité (du nombre des travailleurs, de leurs compétences, des horaires de travail) et d’adaptabilité forcée ou volontaire du travail et renferment ainsi une notion de solution pour faire face au court terme. Outre la rupture avec l’organisation massive du travail, la flexibilité peut conduire à la précarisation de la vision d’avenir et à la fragilisation des identités individuelles et collectives affirmées par le travail.

Les champs de la négociation future doivent ainsi se construire autour de deux modalités de régulation qui sont devenues antinomiques en termes de temps et de type de résultat recherché : la cohésion sociale qui se réalise dans le long terme par la solidarité collective et la flexibilité qui se réalise dans le court terme par l’adaptabilité individuelle. 

Comment concilier ces deux modalités ? 

Plusieurs pistes sont envisageables : on peut, par exemple, évaluer l’efficacité des régulations du travail (construites sur le modèle fordiste) par rapport aux nouvelles dynamiques qui s’installent, notamment les cycles plus courts de production, le modèle d’entreprise « lean and mean », la délocalisation des entreprises, l’accès à des forces de travail non-protegées. On pourrait en conclure que, dans son acception la plus opposée à la cohésion sociale, « flexibilité » signifie soustraire la force de travail à la protection institutionnelle, c'est-à-dire la transformer en ressource régulée par le marché avec une forte individualisation de la négociation contractuelle.

Mais on peut aussi envisager la mise en place de certains nouveaux droits pour accompagner les transitions, telles que la sécurisation des compétences professionnelles, le traitement des parcours discontinus, la lutte contre le vieillissement précoce des travailleurs, etc. Il s’agirait alors de doter la flexibilité d’un cadre institutionnel pertinent, à la lumière d’un objectif de cohésion sociale.

Par rapport à la construction collective de l’avenir – composante essentielle du modèle européen de cohésion sociale – la flexibilité individualise les espoirs et insécurise le futur. Une étude menée récemment en Italie (par Eurispes) montre que parmi les travailleurs interviewés (échantillon de 18-39 ans, temporaires, contractuels, employés pour un projet particulier, on-call, collaborateurs, etc.) aucun ne se sentait partie prenante d’un projet collectif et, ce qui est plus grave, très peu d’entre eux arrivait à envisager l’avenir avec espoir, ayant à sacrifier dès à présent leur réalisation personnelle. Face à de tels sentiments, outre des mesures « flexibles » de protection sociale, il faut également se poser la question du partage des responsabilités au niveau individuel et sociétal. Comment se protéger contre des flexibilités inacceptables et comment gagner du pouvoir pour accéder à la flexibilité désirée ? La compréhension des découpages des responsabilités peut ainsi porter sur la négociation des espaces de coresponsabilité. Il s’agit par là d’examiner des modèles de « société providence » dans lesquels outre l’Etat et les citoyens, les entreprises, les fonds de pension, etc. intégreront la question sociale comme objectif de long terme.

Voici quelques unes des réflexions parmi les multiples questions que soulève la conciliation de la flexibilité du travail avec la cohésion sociale que le Conseil de l’Europe, en tant que garant de la démocratie et du bien-être de chacun des citoyens, souhaite porter à l’attention des participants au Forum 2005. Ce débat s’inscrit dans la recherche d’une coresponsabilité qui puisse relever les défis que la globalisation pose au modèle de cohésion sociale forgée sur le principe selon lequel le travail est source de sécurité, de protection, d’identité et d’avenir.