Liberté d’expression et multiculturalisme
Une décision prise par le Gouvernement britannique d'interdire l'entrée sur son territoire
au député néerlandais Geert Wilders a relancé le débat sur le droit à la
liberté d'expression dans une société pluriculturelle et multiconfessionnelle.
Des agents du gouvernement ont refoulé Wilders à l'aéroport d'Heathrow en
février 2009, alors qu'il s'apprêtait à se rendre à la Chambre des Lords, à
Londres, pour montrer son film intitulé ''Fitna''.
Le court métrage de 14 minutes, très critique vis-à-vis du Coran, a déjà
suscité la réprobation du Conseil de l'Europe.
Dans une déclaration virulente publiée en mars 2008, le Secrétaire Général,
M. Terry Davis, et la Secrétaire générale adjointe, Mme Maud de Boer Buquicchio,
ont décrit Fitna comme une ''déplaisante manipulation qui exploite l'ignorance, les préjugés et la peur''.
Ils ont déploré que le film soit ''purement et simplement de la propagande politique'' qui fait
''le jeu des extrémistes''.
Les fonctionnaires de l'administration britannique ont adopté le même point de vue. Ils ont
estimé que la présence de Wilders au Royaume-Uni et la promotion de son film constituaient une menace pour
l'entente intercommunautaire et, par conséquent, pour la sûreté publique.
Toutefois, cette décision a permis au député du Parti pour la liberté, qui
avait été autorisé, en décembre 2008 encore, à se rendre en Grande-Bretagne pour
honorer certains engagements pris, de se poser en victime du politiquement correct.
''Je ne vois pas pourquoi ma venue fait problème cette fois-ci'', s'est-il récrié.
''Je ne comprends pas pourquoi j'ai été autorisé à venir avant et plus maintenant''.
Dans le prolongement de l'interdiction décrétée par le ministère de
l'Intérieur, The Guardian, journal généralement considéré comme diffusant des
idées libérales, s'est interrogé sur la tension existante entre la liberté d'expression et le
respect des sensibilités raciales et religieuses.
Il a décrit Wilders comme un homme politique habile à se faire valoir en exploitant la
méfiance humaine, certes désagréable, mais ordinaire, éprouvée à l'égard
des étrangers et a condamné Fitna, jugeant le film offensant.
Cependant, The Guardian s'est senti obligé de critiquer la décision du ministère de
l'Intérieur. ''L'interdiction faite à Wilders d'entrer sur le territoire britannique a des conséquences
qui dépassent le fait d'empêcher la propagation de ce film affligeant'', a soutenu le journal. ''La vision
délibérément déformée que donne M. Wilders de l'islam a été largement diffusée''.
''M. Wilders aurait dû être autorisé à entrer sur le territoire britannique.
L'interdiction est une défaite pour la liberté d'expression''.
Ce point de vue a été repris par l'influent chroniqueur Trevor Kavanagh dans le quotidien
britannique à grand tirage The Sun. Kavanagh a qualifié la décision du ministère de
l'Intérieur de ''honteuse'', vitupéré une ''abdication servile devant une mentalité marquée
par l'autoritarisme et la volonté d'en revenir aux autodafés'' et s'est servi de sa chronique pour faire
connaître les idées de Wilders.
Donnant alors un rare exemple de consensus, les médias britanniques se sont accordés pour
critiquer la décision gouvernementale. L'ensemble des médias a, en effet, estimé que Wilders avait
tiré profit de sa querelle avec le gouvernement britannique. L'homme politique, jusque-là obscur, s'est
alors retrouvé sous les projecteurs, ses idées bénéficiant d'une publicité massive et
lui-même s'attirant la sympathie d'une partie de l'opinion publique.
C'est, bien sûr, au gouvernement qu'il appartient d'établir la ligne de démarcation
entre la liberté d'expression et l'intérêt général. Toutefois, dans leur déclaration
de mars 2008 condamnant le film ''Fitna'', les dirigeants du Conseil de l'Europe ont donné fermement leur avis.
''En tant que Secrétaire Général et Secrétaire générale adjointe
du Conseil de l'Europe, qui est le garant de la Convention européenne des droits de l'homme, nous défendons
la liberté d'expression mais, en l'occurrence, nous le faisons en éprouvant beaucoup de déception et
d'inquiétude. C'est un triste jour pour la démocratie européenne lorsque les principes absolument
fondamentaux sur lesquels elle repose servent à propager l'intolérance et des stéréotypes profondément offensants.
''Dans toutes les communautés, la grande majorité des citoyens européens, qu'ils
soient croyants ou non, ont foi dans le dialogue, le respect mutuel et les valeurs de l'Europe. Nous appelons tous nos
concitoyens européens à se joindre à nous pour rejeter cette image offensante et déformée de l'islam''.
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