Colloque : « Culture européenne : identité et diversité »
Strasbourg, France
8-9 septembre 2005

Intervention du Père Laurent Mazas au Colloque d’Intellectuels du Conseil de l’Europe (Table Ronde II)

Invité au pied levé pour remplacer l’Archevêque de Strasbourg, empêché, je me réfère à la série de Colloques du Secrétaire Général sur L’identité européenne, organisés sous la présidence du Luxembourg en 2001, où, chargé d’introduire la première assise, je mettais en relief la tension entre le particulier et l’universel présente en toute identité : « Si l’identité d’un peuple manifeste sa particularité, elle aspire en même temps à l’universel par le meilleur d’elle-même, du fait de son enracinement dans la nature humaine. Une culture n’est vraiment humaine que lorsqu’elle porte en elle l’ouverture aux autres cultures, à l’universel. Les exigences de la particularité fondent les droits des identités culturelles propres ; celles de l’universalité fondent les devoirs qui en découlent, envers les autres cultures et l’humanité tout entière. »1

La question de la finalité, souvent oubliée, est la suivante : pourquoi cette réflexion sur l’identité européenne ? Pour permettre un meilleur vivre ensemble des Européen, dans la « maison commune de l’Europe » à vocation de paix, de justice et d’amour. La finalité, c’est l’homme !

En référence à Jean-Paul II, polonais de culture, grand européen et homme universel : « L’homme est à la fois le fils et le créateur de sa propre culture », je voudrais souligner le sens de l’insistance du Saint-Siège, pour la reconnaissance de l’évidence des racines chrétiennes de l’Europe, précisant qu’elles n’ont jamais été conçues comme exclusives des autres apports. Lorsque quelqu’un offre un fruit à manger, il n’oblige pas à manger aussi les racines de l’arbre qui a donné ce fruit. Il ne s’agit pas de faire de faux procès à l’Église, mais de comprendre la juste motivation de ses appels.

L’organisme dans lequel je travaille : le Conseil Pontifical de la Culture, voulu par Jean-Paul II, œuvre dans le souci de la contribution de l’Église à l’édification d’un monde plus humain par la promotion d’une culture de l’homme et pour l’homme.

Je précise, à partir de ma participation à la rédaction de la Déclaration d’Opatia, l’importance d’une prise de conscience pour les ministres de la culture, mais aussi de toute autorité civile, de leur rôle, non pas dans le domaine du dialogue interreligieux en tant que tel – ce sont aux religieux à dialoguer entre eux –, mais dans les conditions du dialogue : il s’agit que dans les États, le dialogue interreligieux ne soit pas rendu impossible à cause d’attitudes d’autorités publiques partisanes. Ces conditions du dialogue impliquent d’une part un dialogue authentique de l’État avec telle ou telle confession religieuse – la laïcité n’est pas ignorance des composantes de la nation – et d’autre part une connaissance des religions qui passe par l’éducation – certains pays semblent prendre conscience du drame d’une population qui a perdu la clé de lecture de son héritage culturel. Les programmes d’éducation doivent, pour ne pas être réducteurs, voire déformants, être conçus en coopération avec les autorités religieuses concernées. Enfin, les médias ne jouent pas suffisamment leur rôle de médiateurs en ne faisant pas assez écho à certaines initiatives extraordinaires dans le domaine du dialogue interreligieux, comme les Rencontres d’Assise voulues par Jean-Paul II, ou les Rencontres de Saint Egidio, qui rectifient certains préjugés sur le lien entre religion et violence.

Enfin, j’insiste sur le rôle des religions et leur capacité à contribuer à l’édification d’une société meilleure. Il ne faut pas avoir peur des religions, mais il faut avoir peur des hommes et des femmes qui les manipulent à d’autres fins que leurs propres fins. Les religions elles-mêmes redoutent de tels individus qui en dénaturent le message.


1 Cf. Laurent MAZAS, La notion d’identité européenne, Intervention au Conseil de l’Europe, avril 2001. Cf. aussi Conseil Pontifical de la Culture, Pour une pastorale de la culture, n. 10, 23 mai 1999 : « Si les droits de la nation traduisent les exigences de la particularité, il importe aussi de souligner celles de l’universalité, avec les devoirs qui en découlent pour chaque nation envers les autres et toute l’humanité. Le premier de tous est sans nul doute le devoir de vivre dans une volonté de paix, respectueuse et solidaire à l’égard des autres… À l’encontre du nationalisme porteur de mépris, voire d’aversion pour d’autres nations et cultures, le patriotisme est l’amour et le service légitimes, privilégiés, mais non exclusifs, de son propre pays et de sa culture, aussi loin du cosmopolitisme que du nationalisme culturel. Chaque culture est ouverte à l’universel par le meilleur d’elle-même. »