La coopération policière paneuropéenne contre le crime
organisé et la corruption dans le respect des principes de l'état de droit
1ère Réunion à haut niveau des ministères de
l'intérieur
5-6 novembre 1998, Strasbourg (France)
Conclusions
Présentées par M. Jean-Jack QUEYRANNE, Ministre de l’Intérieur p.i. de la
France
1. Nous les Ministres rappellons que dans la Déclaration Finale qu’ils ont
adoptée à l’occasion de leur deuxième Sommet (Strasbourg, 10-11 octobre 1997),
les Chefs d’Etat et de Gouvernement du Conseil de l’Europe ont exprimé leur
préoccupation devant l’ampleur nouvelle des menaces pesant sur la sécurité des
citoyens et les dangers qu’elles font courir à la démocratie et ont décidé de
rechercher des réponses communes aux défis posés par l’extension de la
corruption, de la criminalité organisée, du trafic de drogue et du blanchiment
d’argent à l’échelle du continent. Ces réponses devraient être recherchées dans
le respect des libertés fondamentales que le Conseil de l’Europe défend et
promeut depuis près de 50 ans et consignées dans la Convention européenne des
Droits de l’Homme et dans d’autres instruments juridiques.
2. Nous les Ministres notons avec préoccupation la gravité de la situation telle
qu’exposée par plusieurs intervenants au cours de la réunion. Nous constatons
l’augmentation du nombre de délits graves, la croissance et la diversification
des activités des groupes criminels organisés, leur pénétration dans le tissu
politique, économique et social. Nous saluons le courage et la détermination des
autorités des pays les plus gravement touchés, et en particulier, les efforts
déployés, dans des conditions difficiles, par les forces de police dans leur
combat quotidien contre les groupes criminels.
3. Nous les Ministres sommes d’avis que dans un monde, où les frontières perdent
de leur importance, toute analyse des phénomènes de criminalité organisée doit
être abordée d’un point de vue international. Nous sommes convaincus que la
lutte contre les groupes criminels et les trafics illicites internationaux ne
pourra être menée de façon efficace que dans une perspective et avec des moyens
internationaux. Nous les Ministres prenons note avec intérêt de la mise en œuvre
du Programme d’action contre le crime organisé adopté au sein de l’Union
Européenne ainsi que des travaux en cours aux Nations Unies en vue de
l’élaboration d’une Convention sur le crime organisé.
4. Nous les Ministres considérons qu’il est essentiel de faire un usage optimal
des instruments de coopération internationale en matière pénale existant dans le
cadre bilatéral et multilatéral, et notamment de ceux conclus au sein du Conseil
de l’Europe. Nous soulignons qu’il est impératif de tirer profit des canaux de
communication et d’échanges d’information mis en place par Interpol et Europol.
Nous sommes d’avis qu’il y a lieu de s’inspirer des mécanismes de coopération
fonctionnant au niveau régional entre Etats membres du Conseil de l’Europe, dont
certains résultats sont d’ores et déjà prometteurs.
5. Nous les Ministres considérons que le Conseil de l’Europe est l’organisation
internationale la mieux adaptée pour sensibiliser les citoyens européens aux
dangers menaçant leur sécurité et les institutions démocratiques. En raison de
son expérience dans la défense des droits de l’homme et de la primauté du droit,
le Conseil de l’Europe est appelé à jouer un rôle déterminant dans le
rapprochement des opinions publiques européennes sur la nécessité d’un espace
commun de sécurité.
6. Nous les Ministres soulignons notre attachement à la poursuite des activités
existantes pour consolider les structures démocratiques et l’Etat de Droit en
Europe. Nous attachons dans ce contexte la plus haute importance à la formation
de la police, notamment dans le cadre du Programme d’Activités pour le
Développement de la Stabilité Démocratique (ADACS) ainsi que dans une série de
programmes communs entre le Conseil de l’Europe et la Commission Europénne. Par
ailleurs, nous les Ministres nous réjouissons de la signature de l’Accord dit «
Octopus II », conclu entre le Conseil de l’Europe et la Commission des
Communautés européennes, en vue de renforcer le dispositif législatif et
structurel contre la corruption et le crime organisé des pays d’Europe centrale
et orientale.
7. L’insuffisance de données fiables en matière de crime organisé nuit à la
planification des stratégies de lutte contre cette forme relativement mal connue
de la délinquance. Nous les Ministres saluons l’élaboration du premier rapport
paneuropéen sur la situation du crime organisé dans les pays membres du Conseil
de l'Europe et souhaitons que cet effort soit poursuivi et approfondi à
l’avenir. De surcroît, nous faisons appel au Conseil de l’Europe pour que
celui-ci prépare des analyses comparatives sur les pratiques en matière de lutte
contre le crime organisé pouvant servir d’inspiration aux autorités compétentes
dans l’ensemble des Etats membres.
8. La puissance financière de certains groupes criminels leur permet
d’influencer, voire corrompre les structures de l’Etat. A travers la corruption,
ces groupes réussissent à faire obstacle à l’application du droit, à détourner
le processus de prise de décision démocratique et à infiltrer le pouvoir
politique et économique. Nous les Ministres nous félicitons des mesures prises
au sein du Conseil de l’Europe pour lutter contre la corruption et de l’adoption
:
des 20 Principes Directeurs pour la lutte contre la corruption ;
de l’Accord sur le «Groupe d’Etats contre la corruption -GRECO», qui est
l’instance chargée de contrôler le respect des engagements internationaux en
matière de lutte contre la corruption ;
de la Convention pénale sur la corruption.
9. Nous les Ministres lançons un appel à tous les Etats à adhérer au GRECO et à
signer la Convention pénale sur la corruption dans les meilleurs délais. Nous
encourageons également la poursuite des travaux du Groupe Multidisciplinaire sur
la Corruption (GMC).
10. Nous les Ministres constatons que les réseaux de télécommunications
universels sont exploités et mis à profit par des groupes criminels organisés
pour commettre des infractions de type nouveau ou abuser des possibilités de
communication sans précédent offertes par ces réseaux. Nous espérons que les
travaux en cours au Conseil de l’Europe en vue de mettre au point un traité
international contre la cyber-criminalité permettant notamment des enquêtes
transfrontières sur les réseaux, aboutiront bientôt.
11. La criminalité organisée vise, par définition, l’accumulation de gains
financiers. Ces produits sont, pour la plupart, blanchis afin de leur procurer
un aspect licite et pour mieux les injecter dans les circuits financiers
mondiaux. Dans cette perspective, la coopération internationale contre le
blanchiment de l’argent sale s’avère indispensable. Nous les Ministres notons
avec satisfaction le nombre croissant de ratifications de la Convention du
Conseil de l’Europe relative au blanchiment, au dépistage, à la saisie et à la
confiscation des produits du crime (ETS n° 141). Nous sommes d’avis qu’il
conviendrait de renforcer cette Convention par de nouvelles dispositions pour
faciliter le déroulement des enquêtes et la confiscation des produits illicites
au niveau international, notamment par le biais de la suppression des paradis
fiscaux et des zones offshore, la levée du secret bancaire ou encore le partage
des avoirs confisqués. Le Conseil de l’Europe doit assurer un suivi régulier de
cette Convention.
12. A cet égard nous les Ministres notons avec satisfaction qu’un système
d’évaluation mutuelle des mesures anti-blanchiment, inspiré et soutenu par le
Groupe d’Action Financière (GAFI) a vu le jour au Conseil de l’Europe en 1997.
Ce mécanisme doit être consolidé et doté de moyens appropriés.
13. Nous les Ministres convenons que le recours à des méthodes spéciales
d’investigation est indispensable pour dévoiler les activités des groupes
criminels. Celles-ci nécessitent un cadre juridique clair et adéquat, pour
prévenir toute atteinte aux droits de la personne. Le Conseil de l'Europe
pourrait être mandaté pour définir ce cadre, ce qui aurait pour conséquence
d’instaurer le climat de confiance nécessaire au développement de la coopération
entre les forces de police des pays membres.
14. Les enquêtes sur les activités des groupes criminels doivent souvent
solliciter le concours d’anciens membres de ces groupes dont la protection se
doit d’être assurée. Cette protection peut toutefois être difficile à mettre en
oeuvre pour certains Etats, eu égard à son coût et aux difficultés pratiques de
tout ordre qu’elles génèrent. Nous les Ministres notons l’adoption récente par
le Conseil de l'Europe de la Recommandation R (97) 13 sur l’intimidation des
témoins et les droits de la défense. Nous considérons qu’il serait approprié de
développer les mesures de coopération internationale afin de permettre
l’audition à distance et le placement à l’étranger de témoins protégés.
15. Nous les Ministres convenons que l’efficacité de la lutte contre le crime
organisé repose sur la capacité de coordination entre les différents services,
de la mise en place d’un système cohérent de circulation de l’information et de
la constitution d’équipes pluridisciplinaires composées de policiers spécialisés
dans les techniques utilisées par les criminels. Nous les Ministres encourageons
la constitution de telles équipes ainsi que le développement progressif d’un
réseau européen de contacts entre elles.
16. L’insécurité urbaine alimente à sa manière le crime organisé. Le partenariat
entre la police et le public est essentiel dans ce contexte. Nous les Ministres
nous félicitons par conséquent de l’initiative du Secrétaire Général de créer un
programme spécial visant à lutter contre l’insécurité urbaine dans plusieurs
pays de la Communauté des Etats Indépendants et encourageons le développement de
ce programme qui devrait s’élargir à d’autres pays.
17. Nous les Ministres jugeons positive la pratique de détacher des magistrats
de liaison, souvent impliqués dans les enquêtes sur le crime organisé, et qui
s’est développée entre les pays membres de l’Union européenne. Dès lors, nous
invitons le Conseil de l’Europe à examiner les conditions préalables à
l’élargissement du réseau des magistrats de liaison au niveau paneuropéen.
18. Le concours apporté par les citoyens aux forces de police est un élément
déterminant d’une stratégie efficace de lutte contre le crime organisé et la
corruption. Nous les Ministres estimons que tous les efforts visant à instaurer
la confiance entre les citoyens et leur police doivent être entrepris. Dans
cette perspective, nous les Ministres saluons les travaux du Conseil de l’Europe
sur la déontologie de la police et sur les problèmes liés à l’exercice de la
police dans une société démocratique. Ces travaux devraient permettre notamment
de dégager les principes éthiques incontournables dans un Etat de Droit pour
toute police au service des citoyens.
19. Nous les Ministres invitons le Secrétaire Général à tenir compte des
conclusions énoncées ci-avant et à soumettre au Comité des Ministres des
propositions en vue de définir des priorités, des programmes et des méthodes de
travail pour leur mise en oeuvre. Dans ce contexte, nous les Ministres invitons
également le Secrétaire Général à proposer des structures souples et appropriées
de coopération entre les Ministères de l’intérieur au niveau paneuropéen qui
seraient chargés de la réalisation desdits programmes.
20. Nous les Ministres convenons de nous réunir à nouveau d’ici deux ans au plus
tard afin d’évaluer le progrès accompli.