Depuis quelques mois, plusieurs Etats membres du Conseil de l’Europe renâclent à prendre les mesures devant conduire à la ratification de la Convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique (plus communément appelée « Convention d’Istanbul »).
Bien que la quasi-totalité des Etats membres du Conseil de l’Europe aient signé le traité, une sorte de brouillard fait d’idées fausses semble se propager dernièrement dans certains pays quant au but que poursuit ce texte, accusé d’être empreint de « parti pris idéologique » ou d’aller à l’encontre des « valeurs familiales traditionnelles ».
Un brouillard que viennent lever des articles consacrés à la Convention d’Istanbul que s’apprêtent à publier cette semaine les éditions croate et bulgare du magazine ELLE, et qui font ressortir la priorité inscrite au cœur de ce traité du Conseil de l’Europe, à savoir offrir des outils essentiels pour défendre le droit fondamental des femmes à vivre sans subir de violence.
Afin de démonter l’idée que la Convention d’Istanbul cherche à imposer aux Etats membres une « idéologie des genres », le magazine explique toute la différence qu’il y a entre le mot « sexe », qui fait référence aux caractéristiques biologiques au regard desquelles les êtres humains sont masculins ou féminins, et le mot « genre », cette problématique qui recouvre tout à la fois les rôles, les comportements et les activités qu’une société donnée attribue aux hommes et aux femmes.
Le « genre » renvoie ainsi aux rôles que l’on attend des femmes et des hommes et qui, trop souvent, résultent de vieux clichés et peuvent rendre plus « acceptables » les violences faites aux femmes, les manœuvres d’intimidation dont elles sont victimes et le climat de peur qu’elles subissent.
Cela étant, les deux éditions du magazine attirent l’attention sur le fait que la Convention n’est pas opposée, en soi, aux rôles traditionnellement dévolus aux hommes et aux femmes.
Si les femmes veulent être des « mères au foyer dont le mari travaille », la Convention n’y voit aucune objection : elle n’a pas été écrite pour contraindre les femmes ou les hommes à vivre de telle façon ou d’une autre.
Ce que la Convention exige en revanche que nous apprenions, c’est à mettre fin aux stéréotypes fondés sur l’idée que les femmes sont inférieures aux hommes – et qu’une femme battue, ce n’est pas si grave.
L’article 14 de la Convention demande ainsi d’inclure dans les programmes d’étude officiels du matériel d’enseignement sur les rôles non stéréotypés des genres et de donner aux filles et aux garçons les moyens d’opter dans la vie pour une voie qui ne se cantonne pas aux rôles traditionnellement dévolus aux hommes (celui d’apporteur de revenus, et seulement cela) et aux femmes (exclusivement celui de la mère et de celle qui s’occupe d’autrui).
Le magazine réfute aussi d’autres idées fausses qui épaississent encore le brouillard entourant ces questions.
L’obligation qui pèse sur les Etats en ce qui concerne l’éducation, par exemple, ne signifie pas qu’ils doivent se doter d’un matériel pédagogique relatif à l’orientation sexuelle et à l’identité de genre. Il est faux de croire que la Convention d’Istanbul contraint les Etats à inscrire dans leurs programmes scolaires des cours sur l’orientation sexuelle. Il n’en est rien.
D’aucuns prétendent également que notre Convention encourage le mariage entre personnes de même sexe, mais lui reprochent de ne pas évoquer la reconnaissance juridique de ces unions. Le Conseil de l’Europe défend bien évidemment les droits des personnes LGBTI – et la Convention combat toute forme de discrimination. Mais la question du mariage entre personnes de même sexe n’entre pas dans le cadre juridique de la Convention d’Istanbul.
De même, certains pensent à tort que la Convention obligerait les Etats à reconnaître dans leur ordre juridique interne un troisième sexe. L’expression « troisième sexe » - on parle parfois de troisième genre ou de personnes intersexuées – renvoie à des individus qui ne se considèrent ni hommes ni femmes.
Autre idée tout aussi fausse : on entend çà et là que la Convention plaiderait pour un nouveau « statut de réfugié » pour les personnes transgenres ou intersexuées. Ce n’est pas vrai.
Elle demande de faire en sorte que les procédures d’asile permettent aux femmes d’expliquer les raisons de leur fuite. Qu’elles aient été violées pour les réduire politiquement au silence ou qu’elles craignent de subir des mutilations génitales, il faut du temps pour le dire.
Tout ce que veut ici la Convention, c’est donner aux femmes un espace pour s’exprimer, car les histoires et expériences qu’elles ont vécues peuvent leur ouvrir la voie vers l’obtention du statut de réfugié que prévoit la Convention de 1951.