Obstacles à l’accès à la protection sociale en Europe – IIème Rapport (rév.)
Groupe de spécialistes sur l’accès à la protection sociale - CS-PS (2000) 4f
Strasbourg, le 21 mai 2001
Peter Melvyn - Centre européen de Recherche en Politique Sociale, Autriche
I. Communication et information
II. Ostacles spécifiques rencontrés par les groupes vulnérables de la population
Minorités (immigrants, refugiés, demandeurs d’asyles, groupes éthniques etc.)
Handicap
Pauvreté et exclusion dans les villes
Groupes vulnérables de la population dans les économies de transition
Régions vulnérables
III. Problèmes d’organisation et de gestion (coordination entre prestateurs de services)
IV. Parténariats avec des organisations non gouvernamentales en vue de l’amélioration de l’accès aux droits sociaux
Annèxe – Questionnaire sur l’accès à la protection sociale
ADDENDUM
l. Le présent document est une version remaniée du premier rapport sur les “Obstacles à l'accès à la protection sociale” présenté au Groupe CS-PS et que celui-ci avait examiné lors de sa troisième réunion à Moscou les 22-24 mai 2000. Au terme de ses discussions, le Groupe a recommandé, dans le souci de limiter la portée de ses travaux, de revoir la structure du rapport et d'articuler celui-ci autour de quatre grands thèmes: I. Politique de communication et d'information sur les prestations sociales, II. Obstacles spécifiques rencontrés par les groupes vulnérables concernant l'accès à la protection sociale, III. Problèmes d'organisation et/ou de gestion (coordination entre les prestataires de services), et IV. Partenariat avec des institutions représentant la société au sens large (organisations non gouvernementales, etc.) en vue d'améliorer la protection sociale. La version remaniée n'entend pas remplacer le premier rapport, mais se concentre sur les quatre sujets précités. Bien qu'elle reprenne les réponses au questionnaire qui s'avèrent pertinentes en la matière, elle renferme aussi de nombreux renseignements provenant d'autres sources - on en trouvera la liste dans la rubrique intitulée “Références”. Ces précisions supplémentaires devraient donner plus de poids aux sujets abordés, notamment ceux évoqués au point IV, non traités dans le premier rapport. Faute de pouvoir passer en revue tous les “groupes vulnérables” énumérés ci-après - leur étude exhaustive aurait en effet nécessité de plus amples recherches –, une sélection a dû être opérée. Il convient également de rappeler que les multiples problèmes rencontrés par ces catégories de personnes sont tels qu'un document comme celui-ci, qui brosse un tableau d'ensemble, ne peut que les effleurer.
Les observations des autorités gouvernementales et organisations non-gouvernementales ont été prises en compte dans le rapport lorsqu’elles se sont avérées pertinentes dans le cadre de la nouvelle structure.
I. Communication et information
2. Les Rapports présentés au 6e Congrès européen sur le droit du travail et la sécurité sociale (Varsovie, 1999) soulignent que “dans la mesure où les prestations sociales et les services sociaux sont destinés à des personnes socialement défavorisées, il arrive aussi que, de ce fait, les individus concernés ne soient pas pleinement informés de leurs droits ... Le système juridique part du principe que le citoyen connaît ses droits...”. Or, comme le montrent de nombreuses réponses au questionnaire, cela n'est pas toujours le cas, et ce pour diverses raisons.
3. Toutes les réponses admettent ainsi que le public a du mal à comprendre pleinement les textes juridiques relatifs à la protection sociale. Quelques réponses confirment également la complexité des procédures et elles sont assez nombreuses à reconnaître que les difficultés de compréhension et d'interprétation ne sont pas réservées aux bénéficiaires, mais sont partagées par les prestataires de services. Très souvent, des efforts sont faits pour fournir des versions transparentes et simplifiées des textes juridiques. Il y également unanimité sur le fait que les prestations devraient être faciles à demander et faciles à gérer. Il faudrait qu'elles soient d'une compréhension aisée tant pour ceux qui les sollicitent que pour les agents qui les fournissent. Les services publics et les ONG considèrent pour la plupart que l'une de leurs principales fonctions consiste à conseiller et à aider les usagers pour les procédures de demande, car beaucoup d'entre eux semblent incapables de se débrouiller seuls. Plusieurs ONG se plaignent de ce que les modifications fréquentes, les dispositions temporaires ou les versions différentes - mais toutes valables - d'une même mesure créent une confusion considérable et causent parfois des retards dans la procédure de demande. Selon une ONG irlandaise, les règles régissant le système de prévoyance sociale et les formulaires de demande sont très souvent si difficiles à comprendre qu’ils découragent de nombreux demandeurs éventuels et constituent de ce fait un obstacle majeur à la protection sociale.
4. L'absence d'informations compréhensibles ainsi que la complexité des procédures peuvent conduire les usagers à renoncer à poursuivre les démarches. Ces facteurs sont cités comme étant l’une des principales causes du faible recours à l’assistance sociale (source ONG irlandaise). Une ONG finlandaise indique, dans le même ordre d'idées, que l'on estime à 100.000 le nombre de ménages qui pourraient avoir droit à l’assistance sociale mais n’en font pas la demande. Là encore, l’une des raisons mentionnées est la complexité de la procédure requise qui, surtout si les aides risquent d'être très modestes, n'en vaut pas la peine.
5. Les pays qui ont répondu au questionnaire déclarent tous que le manque d'informations peut avoir pour conséquence de perdre le bénéfice des prestations ou autres services, ou d'en retarder l'obtention. Comme le souligne une source gouvernementale du Liechtenstein, l'information est le point de départ de chaque mesure de soutien et de chaque prestation. Cependant, comme une autre réponse l'indique, il est difficile de déterminer si les renseignements n’ont pas été fournis, si les procédures de demande sont peu claires ou si, simplement, les usagers n’ont pas connaissance des informations pertinentes.
6. Ainsi qu'il a déjà été dit, le degré de perception ou de connaissance de ses droits par le demandeur a lui aussi des conséquences, en particulier pour l’administration des aides financières. Alors que la plupart des pays insistent sur les efforts qu'ils déploient pour diffuser des informations par différents moyens, il semble que certaines personnes ou certains groupes de personnes soient toujours laissés à l’écart. Comme l’a montré une ONG irlandaise, le manque d’informations est notamment responsable du faible taux de recours à certaines prestations. Une étude a ainsi montré que plus des quatre cinquièmes de l’échantillon faisaient état de besoins pour lesquels ils n’avaient introduit aucune demande d'intervention. Cela s'expliquerait en partie par la crainte que le dépôt d’une demande d'admission au bénéfice d’une prestation entraîne le refus d’une autre prestation.
7. Le problème du faible recours à certaines prestations est confirmé par une ONG britannique qui s’appuie sur une somme considérable de recherches en la matière. Les études en question mentionnent une série de facteurs, parmi lesquels la structure des différents régimes de prestations, l’administration de ces dernières, ainsi que l'ignorance, les idées fausses et la mauvaise perception du système de prestations. S’y ajoutent aussi la profonde méconnaissance des prestations et des différentes règles applicables, ou encore l’incertitude quant à savoir si l'on peut bénéficier de telle prestation dans telle situation. Une autre ONG irlandaise estime que «le manque d’information est synonyme de manque de pouvoir». D’après l’expérience de cette organisation, la plupart de ceux qui s'adressent à elle préfèrent aller trouver à la source les renseignements ou les conseils qu’ils recherchent plutôt que de passer par des intermédiaires pour faire valoir leurs droits. De plus, les usagers n'apprécient guère de découvrir qu’il existe des renseignements sur les prestations et les services auxquels ils auraient eu droit mais dont ils n'ont pu bénéficier faute d’en être informés, et ils ont tendance à croire que ces renseignements leur ont été délibérément cachés. En bref, la diffusion d’informations exactes, à jour et accessibles à tous est essentielle pour promouvoir l’autonomisation.
8. Au point V.5.1 du questionnaire, il est demandé si l’information diffusée concernant les droits aux prestations et les procédures existantes pour leur mise en œuvre est suffisante, d'une part, sur le plan qualitatif et, d'autre part, en termes d'adaptation de l’information au destinataire. C’est à ce sujet que les réponses données par les services administratifs et par les ONG divergent le plus. Dans la plupart des réponses provenant de 15 pays, les volets a) et b) ne sont pas clairement différenciés. À une exception près, tous les services administratifs semblent convaincus de l'adéquation et de la qualité des renseignements qu’ils fournissent au public concernant les droits aux prestations et les procédures à suivre pour en réclamer l'obtention. Quelques-uns admettent néanmoins que l'information de certaines minorités ethniques ou linguistiques pose problème. A l'inverse, les ONG se montrent pour la plupart fort critiques quant à l’information diffusée par les sources officielles. Leurs reproches portent globalement sur les aspects suivant : 1) inadéquation générale: inexactitudes ou erreurs dans les données communiquées, renseignements non mis à jour; 2) information excessive sur certains services, notamment les régimes de pension, et insuffisante sur d'autres, par exemple les prestations soumises à condition de ressources; 3) inadaptation par rapport au degré d’instruction ou à la maîtrise linguistique de certaines catégories, aux migrants, ou encore aux malvoyants (utilisation du Braille); 4) fragmentation des renseignements due à la manière dont est organisée la protection sociale à différents niveaux (fédéral, provincial, local, par ex.); 5) pas d’adaptation en direction des groupes défavorisés.
9. Plusieurs exemples tirés des contextes nationaux illustrent ces obstacles liés à la communication, dont certains montrent le lien qui existe entre la complexité d’un régime donné de prestations et la difficulté qu'il y a à bien l’expliquer. Ainsi, une source gouvernementale britannique distingue trois séries d’obstacles : a) la complexité inhérente à tout système de sécurité sociale et de prestations; b) le fait que les formulaires soient longs et souvent compliqués et la nécessité pour les clients de s’adresser à plusieurs administrations ou bureaux; c) le manque de confidentialité dans de nombreux services locaux. Une ONG belge relève que, souvent, les renseignements fournis sont non seulement incomplets et incorrects, mais aussi qu'ils s'adressent principalement à un public qui connaît déjà bien le fonctionnement des régimes de prestations. Les ONG irlandaises évoquent un certain nombre de problèmes similaires, et font également état d'autres difficultés. Elles reconnaissent que les instances administratives qui gèrent un vaste système de protection sociale produisent et diffusent des tas de renseignements sur les droits aux services sociaux. Pourtant, les prestations et les services qui forment ledit système leur paraissent d’une déroutante diversité. De plus, la langue et le style du gros de la documentation publiée ne sont compréhensibles que des responsables et du personnel chargé de la gestion des services. Les renseignements sont souvent rédigés dans un jargon juridique et bureaucratique qui constitue une entrave pour beaucoup de citoyens ordinaires et qui représente un obstacle de taille pour les personnes qui ont du mal à lire et à écrire, ainsi que pour les membres de certaines minorités. Par ailleurs, d'une manière générale, ceux qui vivent dans des quartiers pauvres ont moins de chances que les autres d'avoir accès à ces informations.
10. Une source gouvernementale estonienne fait savoir que les indications quant au moyen de veiller à ce que la législation sur les droits et les prestations soit clairement comprise pour être correctement appliquée demeurent insuffisantes. Selon elle, le problème vient de la Loi sur les langues, qui impose l’estonien comme seule langue officielle du pays, alors qu'en fait une grande partie de la population est d’origine russe et nombreux sont ceux qui ne comprennent pas la langue nationale ou ne la parlent pas couramment. Il peut donc arriver que les renseignements sur les prestations sociales ne parviennent pas à cette frange de la population. De gros efforts semblent cependant avoir été faits pour encourager et étendre l'enseignement de l'estonien. Après avoir facilité l'acquisition de la nationalité estonienne par les personnes âgées et les personnes handicapées, les autorités ont simplifié le test de connaissance linguistique pour tous les demandeurs. Il est évident que les informations ne peuvent être proposées dans toutes les langues des minorités immigrées, qui sont parfois plus d'une douzaine dans certains pays. Néanmoins, des renseignements sur les services peuvent souvent être obtenus dans les langues principales. Plusieurs pays indiquent qu'au besoin, les intéressés peuvent être aidés lors de l'établissement de la demande.
11. Les pays qui font appel aux technologies de l’information pour diffuser des renseignements et gérer leurs programmes signalent que la fourniture des prestations et des services s'est grandement améliorée. Au cours des dernières décennies, les diverses applications issues de ces technologies ont progressivement intégré les services publics et privés de protection sociale. Les possibilités qu'elles offrent nécessitent de nouvelles formes d'organisation dans le domaine de la prévoyance sociale. Ainsi, une source gouvernementale suédoise indique qu’il est désormais possible d’obtenir des renseignements sur les personnes susceptibles d'être admises au bénéfice des prestations mais qui ne font pas usage de leurs droits. Cela étant, les questions d’accès général, de confidentialité et d’éthique que soulèvent ces nouvelles formes de technologie restent à examiner. Dans les réponses, les administrations qui ne possèdent pas encore de services d'information électroniques ou qui n'en sont que partiellement équipées relèvent les investissements considérables que cela implique. D'autre part, l'Internet est en passe de devenir un moyen de communication de masse que les services de protection sociale d'un certain nombre de pays commencent à utiliser. Il prend notamment de l'importance dans les activités des groupes et organisations d'entraide par exemple. (A cet égard, il convient de signaler plus particulièrement le rapport de la «Conférence internationale sur les technologies de l'information: les nouveaux défis de l'offre de services pour les systèmes de sécurité sociale» organisée par l’AISS (Association internationale de la sécurité sociale - Genève) qui s'est tenue à Montréal, au Québec, du 27 au 30 septembre 1999.
II. Obstacles spécifiques rencontrés par les groupes vulnérables de la population
12. Il existe toute une série de termes pour désigner les catégories vulnérables de la population: on parle de personnes défavorisées, de déshérités, de marginaux, de groupes risquant de basculer sous le seuil de pauvreté, ou encore de groupes ou individus socialement exclus ou menacés d'exclusion. L'expression ‘exclusion sociale’ est parfois utilisée en lieu et place du mot ‘pauvreté’. Pourtant, les deux ne sont pas synonymes. La pauvreté signifie le “non-accès aux biens et services consécutif à une insuffisance de ressources matérielles, alors que l'exclusion sociale renvoie à une moindre participation à la vie sociale ou au fait de se voir refuser une place dans la société de consommation, ce facteur étant souvent lié au rôle social de l'emploi ” (Dror D. et Jacquier C., citant Duffy K., 1999). Dans ce dernier cas, on peut parler d'"exclusion liée à la pauvreté", dès lors que les changements survenus sur le marché du travail ont affecté – et continuent d'affecter – un grand nombre d'individus dans beaucoup de pays; ces personnes se sont retrouvées au chômage ou dans des emplois faiblement rémunérés, ou touchent des prestations d'assistance sociale ou une rente minimale et sont par conséquent en situation de pauvreté.
13. Des pays comme le Danemark, la France et le Royaume-Uni ont mis en place des programmes de lutte contre l'exclusion sociale qui entendent couvrir aussi bien les personnes qui se trouvent exclues pour une raison liée à la pauvreté que celles qui le sont pour un motif d'ordre social. Les individus et les groupes que l'on retrouve dans ces catégories – qu'il est difficile de bien distinguer - englobent des gens les plus divers confrontés à des problèmes dont beaucoup se chevauchent: chômeurs de longue durée, travailleurs à faibles revenus, allocataires sociaux de longue durée, sans-abri, handicapés physiques ou mentaux aux revenus très modestes, personnes âgées percevant une pension minimale, toxicomanes et malades du SIDA, délinquants, parents isolés - mais aussi familles nombreuses -, jeunes vulnérables, réfugiés – en situation régulière ou non -, minorités ethniques comme les Roms, communautés de travailleurs migrants extracommunautaires et habitants de zones rurales isolées ou de régions économiquement défavorisées. On notera que le questionnaire ne parlait pas de "groupes vulnérables" en tant que tels. Ces derniers devaient apparemment être repris dans les "groupes minoritaires qui resteraient en dehors de certaines prestations ou services ou dont l’accès à certaines prestations ou services serait rendu plus difficile" (VI.6.1). La question ne donnant pas de définition claire des groupes minoritaires, une sélection a dû être faite parmi les groupes cités dans les réponses qui se rapprochaient le plus de ceux énumérés ci-dessus.
Minorités (migrants, réfugiés, demandeurs d'asile, groupes ethniques, etc.)
14. Il peut être utile de rappeler tout d’abord que le Comité européen des droits sociaux, se référant à l’article 13 de la Charte sociale européenne (droit à l’assistance sociale et médicale), a identifié un certain nombre de catégories susceptibles de nécessiter des services sociaux, parmi lesquelles figurent «les minorités (migrants, gitans, réfugiés, etc.)», ajoutant que cette liste n’était pas exhaustive car le droit aux services sociaux devait être ouvert à tous les membres de la collectivité. On pourra par ailleurs examiner aussi les rapports nationaux de la Commission européenne contre le racisme et l’intolérance, qui se penchent périodiquement sur la situation des ressortissants étrangers et des minorités au regard de la discrimination.
15. Les réponses au questionnaire mentionnent souvent les individus ou familles sans permis de séjour. Si certains pays leur refusent le droit à toute prestation et à tout service - c’est le cas, selon des sources gouvernementales, en République tchèque et en Estonie (la faculté étant néanmoins laissée ici aux municipalités de leur octroyer des prestations dans des circonstances exceptionnelles), d’autres subordonnent l'ouverture de tels droits à une période déterminée de résidence; c’est le cas notamment en Belgique pour les allocations familiales (source gouvernementale) et en Lettonie pour des types de prestations non précisés (source gouvernementale). L’exclusion ne visant que des prestations et services financés par l’Etat, rien ne s'oppose, semble-t-il, aux aides provenant d'organisations bénévoles. De nombreux Etats s'appuient sur les textes de loi en matière d'immigration et de protection sociale pour exclure les immigrés et les demandeurs d'asile du bénéfice des prestations et services sociaux. Ainsi, au Royaume-Uni, l'accès à la protection sociale dépend de plus en plus du statut de l'intéressé comme immigré ou résident, ce qui accroît encore la difficulté pour les immigrés et les demandeurs d'asile d'obtenir une assistance financière ou une aide au logement de l'Etat (Lister R.,1998). De même, en Autriche, les demandeurs d'asile qui n'ont ici aucun droit légal aux soins de santé, sont pris en charge, pour les deux tiers d'entre eux, par des ONG ou par des associations à caractère confessionnel. Les soins de santé publique sont accordés de façon discrétionnaire, apparemment sous certaines conditions, dans un manque de transparence que critiquent vivement le UNHCR et les ONG.
16. S'agissant des immigrés et des réfugiés, il ressort de plusieurs réponses que cette catégorie de personnes se trouve écartée de certaines prestations ou de certains services, sans autre précision. Il en est ainsi en Espagne (source gouvernementale), où les personnes sans domicile fixe et les sans-abri en sont exclus, et au Danemark (source ONG), où les prestations servies aux immigrés sont plus modestes que celles allouées aux ressortissants nationaux; en Finlande, les immigrés qui se sont installés dans le pays à un âge avancé ne peuvent prétendre à une pension de vieillesse, mais peuvent recevoir une aide sociale (source gouvernementale). En Irlande, où le nombre des réfugiés et des demandeurs d’asile a augmenté ces dernières années, une source ONG dénonce les préjugés et le racisme manifestés par certains prestataires de services qui entravent l’accès aux prestations et aux services pour les demandeurs. Il en irait de même en France (source ONG), où l'on signale que certains agents municipaux bloquent l'accès à des services, notamment dans le domaine des soins de santé. D'après une ONG suisse, la légitimité des demandes d'intervention en matière d’assurance contre les accidents du travail et d'assurance-invalidité est plus souvent mise en doute par les prestataires lorsqu'elles émanent de ressortissants étrangers. Or, selon cette source, les travailleurs manuels étrangers courent souvent des risques d’accident plus élevés en raison du type de travaux auxquels ils sont dans bien des cas employés.
17. En ce qui concerne les travailleurs migrants non européens, ils ne sont couverts ni par la Charte sociale européenne (Turin,1961) ni par ses protocoles additionnels (1988 et 1991) ni par la version révisée de la Charte (1996) ni par la Convention européenne (1977) du Conseil de l'Europe relative au statut juridique du travailleur migrant. Ainsi, les travailleurs originaires du Maghreb ne jouissent pas d'une protection sociale équitable et, par conséquent, ne bénéficient pas de certaines prestations liées à leurs cotisations - indemnités de chômage ou soins de santé notamment - s'ils retournent provisoirement (pour les vacances, par ex.) dans leur pays d'origine ou si les membres de leur famille résident là-bas (dans le cas des allocations spéciales versées à la naissance ou pour un conjoint à charge). En outre, le Règlement n° 1408/71 du Conseil des Communautés européennes du 14 juin 1971 relatif à l'application des régimes de sécurité sociale aux salariés et à leurs familles n'inclut pas les travailleurs migrants du Maghreb et leurs familles (Boudahrein A., 2000). (Voir addendum).
18. Les réponses de trois pays en particulier - l’Irlande, la Roumanie et la Slovaquie - rendent compte des difficultés qu'ont leurs groupes minoritaires autochtones, tels que les gens du voyage et les Roms, pour accéder aux prestations et aux services. Ces deux groupes ont en commun d’être traditionnellement nomades, bien que beaucoup d’entre eux se soient sédentarisés et habitent des logements fixes ou des caravanes. Certains vivent au bord des routes, sans pouvoir bénéficier d'aucun service. Les deux groupes - en particulier les Roms dans certains pays d’Europe centrale et orientale, où ils sont particulièrement nombreux - doivent faire face à un racisme omniprésent et à des préjugés tenaces de la part d'une frange importante des populations des pays où ils vivent. Ils se trouvent ainsi marginalisés et exclus de la plupart des institutions et des structures de la société, tant sur le plan individuel qu'au niveau institutionnel. En Irlande par exemple (source ONG), les gens du voyage qui sont sédentarisés sont contraints de faire appel aux services de protection sociale à des heures qui leur sont réservées; ils doivent recourir à des services d’aide sociale distincts et, à l'école, leurs enfants fréquentent souvent des classes séparées.
19. En Europe centrale et orientale, où il y a toujours eu une communauté rom relativement importante, la plupart de leurs membres vivent dans la misère. En Roumanie (source gouvernementale), de larges pans de la population rom se trouvent dans une situation d'extrême pauvreté, en raison du chômage qui les frappe très durement, surtout depuis 1989. Selon la même source, la minorité rom se caractérise par un taux très élevé d'absentéisme scolaire et d'analphabétisme, de sorte que le niveau d'instruction et de qualification y est également fort bas. Ces facteurs contribuent à pousser les Rom vers des activités illégales, voire vers la délinquance. Il est par ailleurs précisé que le problème tient pour beaucoup aux valeurs, aux normes, aux attitudes et aux comportements propres à ce groupe ethnique, qui rendent leur intégration très difficile. Le taux élevé de natalité des Roms, qui s’explique en partie par un accès très limité aux services de planning familial, est un facteur supplémentaire qui favorise également la pauvreté.
20. Tout comme en Roumanie, les Rom slovaques sont fortement touchés par le chômage et leur condition sociale est des plus médiocres, surtout dans leurs zones de concentration, où il habitent souvent des logements délabrés. La nouvelle situation socio-économique qui s'est dessinée après 1989 a eu des conséquences très graves pour les catégories les plus défavorisées de la population, dont les Rom car leurs problèmes, qui existaient déjà auparavant, se sont multipliés. De plus, la responsabilité de la politique des pouvoirs publics à l'égard des Rom a changé plusieurs fois de mains. La coordination de l’action gouvernementale concernant les Rom a été transférée récemment du ministère du Travail et des Affaires sociales au Cabinet du Gouvernement slovaque. Selon de récentes informations (source gouvernementale), celui-ci a déployé des efforts particuliers en collaboration avec des ONG pour améliorer la situation de la communauté rom, notamment dans les domaines de l'emploi et de la formation. Face cependant à la montée de la haine et de la discrimination – souvent accompagnées d'agressions et d'actes de violence – dont sont victimes les Rom dans les pays où ils constituent une minorité importante (jusqu'à 10% de la population et 8 à 10 millions au total, répartis dans la plupart des pays européens), les Nations Unies et l'OSCE ont décidé de s'intéresser de plus près au problème et ont pris une première initiative en recommandant aux Etats membres de mettre en place une législation anti-discriminatoire.
Handicap
21. Les réponses fournies par la majorité des pays démontrent à l'envi que de nombreuses personnes handicapées sont confrontées à des difficultés matérielles, à des obstacles sociaux et à des formes de discrimination, notamment dans l'enseignement et dans l'emploi, et que leurs problèmes viennent aussi du fait qu'elles dépendent des prestations sociales. Beaucoup de pays admettent dans leurs réponses au questionnaire que certains services sont difficilement accessibles aux personnes handicapées, encore qu'ils n'aient pas tous réagi à ce problème pourtant évident et largement reconnu. Les difficultés particulières rencontrées par les personnes handicapées vont de l’usage des transports publics à l’accès aux bâtiments officiels, qui ne sont pas équipés correctement pour accueillir des personnes à mobilité réduite. Certains pays proposent des services de visites à domicile pour renseigner les intéressés et les aider à introduire leurs demandes. Deux pays (le Portugal et le Royaume-Uni - sources gouvernementales nationales) déclarent recourir à des dispositions législatives pour garantir l’accessibilité aux personnes handicapées. Au Portugal, ce texte de loi vise les bâtiments en construction et l’aménagement des édifices existants. Une ONG norvégienne attire à ce propos l'attention sur le problème que constituent l'insuffisance de normes européennes en matière d'accessibilité de l'environnement bâti (hôtels, édifices publics, etc.,) pour les personnes handicapées, et le manque de moyens pour les faire respecter. Au Royaume-Uni, la Loi sur la discrimination à l’égard des personnes handicapées (1995) reconnaît à celles-ci le droit d'accès à l’emploi et aux services au même titre que les personnes valides. Elle impose en outre de supprimer ou de modifier tout ce qui, sur le plan matériel, entrave l'accès à l’emploi ou le recours aux services sociaux. En revanche, le Royaume-Uni a considérablement durci les procédures de demande de prestations d'invalidité dans le cadre de la nouvelle "Disability Integrity Procedure" et d'une tendance générale à "mieux cibler" les bénéficiaires afin de pourvoir aux “besoins réels”. La procédure précitée fait obligation aux allocataires de rentes à vie de compléter un questionnaire de 33 pages ou de répondre à des enquêteurs de l'administration, l'objectif étant de réexaminer leur droit à prestation (Jordan B., 1998). Enfin, plusieurs pays font état de problèmes d’accessibilité non seulement pour les personnes âgées ou handicapées mais aussi pour les mères de jeunes enfants, souvent amenées à faire la queue de longues heures durant sans que rien n'ait été prévu dans les bâtiments publics pour garder leurs enfants.
Pauvreté et exclusion dans les villes
22. Depuis environ vingt ans, on assiste dans de nombreuses villes européennes à une accentuation de la fracture entre les quartiers plus riches et ceux plus pauvres: les premiers voient leur niveau de vie s'élever, tandis que les seconds se délabrent, sont davantage touchés par la délinquance et se retrouvent de plus en plus déconnectés du marché du travail, finissant ainsi par former ce que l'on appelle des “zones sensibles”. Il y a rarement de claire ligne de démarcation entre les deux secteurs, mais on observe des poches de pauvreté confrontés à problèmes aigus de chômage, de misère et de santé. D'une manière générale, les minorités ethniques se retrouvent plus souvent à vivre dans des quartiers déshérités, à ne pas avoir d'emploi, à percevoir de faibles revenus, à habiter des logements insalubres et à être en mauvaise santé. Une évolution due en grande partie à un certain nombre d'importantes mutations économiques et sociales telles que le déclin des industries traditionnelles et l'absence de postes ne réclamant pas de qualifications, ce qui a engendré la spirale du chômage, des emplois faiblement rémunérés, de la précarité financière, de l'assistance sociale de longue durée et, par là même, de la pauvreté. Au cours des années 90, la pauvreté et l'exclusion sociale qui en est la conséquence sont ainsi redevenues un phénomène visible et reconnaissable. Le sort des sans-abri et le dénuement des enfants, des parents isolés (des mères pour la plupart) et des exclus du marché du travail sont à présent des questions qui préoccupent l'opinion.
23. Le problème des sans-abri existe à plus ou moins grande échelle dans diverses grandes villes européennes. Selon des estimations établies en 1993, ils seraient environ 3 millions dans les pays de l'Union européenne - et vraisemblablement davantage depuis. Ce nombre englobe les "SDF" c.à.d. les personnes qui dorment dans la rue, dans un abri souterrain ou de fortune, dans un dortoir ou dans un logement déclaré inhabitable, etc. Le fait d'être longtemps sans abri a de graves répercussions sur la santé, l'espérance de vie et les possibilités d'emploi de l'intéressé, entraînant inéluctablement celui-ci vers la marginalisation et l'exclusion sociale. La persistance de ce problème est attribuée pour une bonne part à une aggravation de la pauvreté depuis les années 70-80, liée à l'évolution de la situation économique et sociale - montée du chômage, pénurie croissante de logements sociaux, diminution du nombre de leurs bénéficiaires, modifications des régimes de soins de santé mentale et des prestations y afférentes. Ces facteurs varient bien évidemment d'un pays à l'autre.
24. Dans plusieurs Etats (Danemark, France, Italie, Royaume-Uni), c'est la législation nationale en matière de logement qui veut que la situation des sans-abri soit du ressort des autorités locales; la question est par conséquent davantage considérée comme un problème de logement que comme une forme d'exclusion sociale et "se caractérise surtout par le fait qu'une partie des exclus sociaux n'est pas en mesure d'accéder aux services de protection sociale et aux logements sociaux" (Pleace N., 1998). Une étude réalisée au Royaume-Uni a montré l'importance des préjugés et de l'hostilité que rencontrent les sans-abri, et ce même dans les services qui leurs sont destinés. Ainsi, ils se voient parfois refuser une aide sur la base de critères liés au “caractère louable” de l'intervention, à la preuve d'absence de domicile ou à la présence d'enfants, à l'existence d'une fragilité mentale, à la possibilité d'obtenir d'autres prestations sociales de l'Etat et à l'accès au Service national de santé (ibid.). Au début des années 90, la situation des sans-abri était néanmoins devenue si grave au Royaume-Uni, avec des conséquences si flagrantes sur la santé mentale des personnes concernées – suite à une réduction des dépenses des services de santé mentale –, que le Gouvernement a pris un certain nombre d'initiatives telles que le Programme pour les malades mentaux sans abri (Homeless Mentally Ill Initiative) et le Programme pour SDF (Rough Sleepers Initiative), en plus des subventions prévues par la Loi de 1996 sur le logement. L'étude précitée indique par ailleurs que le problème des sans-abri et des SDF n'est que l'une des nombreuses manifestations de l'exclusion sociale, “qui survient dans un contexte où l'on n'apporte qu'une aide très limitée - si tant est qu'il y en ait - à ceux qui se trouvent confrontés à cette situation... (c.à.d.) des gens qui sont incapables de vivre dans une économie classique et ne peuvent prétendre à une aide de l'Etat” (ibid.).
Groupes vulnérables de la population dans les économies de transition
25. On notera que les expressions “exclusion sociale” ou “marginalisation” n'ont fait qu'assez récemment leur apparition dans le vocabulaire de politique sociale de la plupart des pays d'Europe centrale et orientale, ce qui ne veut pas dire que le problème n'existe pas. Dans ces pays, l'assurance sociale était et est toujours destinée aux personnes qui occupent ou ont occupé un emploi. Il est cependant des catégories de personnes et des besoins spécifiques qui ne sont pas couverts par l'assurance sociale ou les régimes d'assistance publique. Dans ce cas, c'est l'assistance sociale qui intervient, sorte de régime résiduel ou ultime filet de protection sociale (Castle-Kanerova M., 1997). Bien que les individus et les groupes à risque dans les économies en transition soient sensiblement similaires à ceux que l'on observe en Occident, leur situation est plus délicate en raison des importantes lacunes que présente le dispositif de protection sociale.
26. Cette situation est imputable à deux grands facteurs : primo, la lourde charge financière que le système de protection sociale fait peser sur l’économie et sur le budget de l’Etat, charge sérieusement aggravée par les difficultés financières provoquées par les réformes libérales, et, secundo, les épreuves que connaissent de ce fait de larges pans de la population, attendu que les politiques sociales sont loin en retard par rapport aux réformes économiques et sont parfois considérées comme un fardeau. Plusieurs pays ont donc choisi une approche «ciblée», c.à.d. qu’ils ont tenté d’allouer avant tout les fonds disponibles aux plus nécessiteux et aux plus vulnérables - créant ainsi, en d'autres termes, un filet de sécurité hautement sélectif. La nature, la portée et le niveau de la protection sociale varient d'un pays à l'autre, suivant les moyens financiers et les ressources administratives et humaines disponibles, c.à.d. selon qu'il y ait des gens désireux et capables d'assumer les tâches indispensables pour que les services fonctionnent. Par ailleurs, un pourcentage beaucoup plus élevé de la population demeure tributaire de l’agriculture, ce qui pèse considérablement sur l’évolution de la politique sociale. Tous les pays en transition ont certes mis en place une série de garanties minimales en matière de protection sociale de l'Etat, mais leur application concrète se heurte souvent à des difficultés: versement irrégulier des prestations faute d'argent dans les caisses de l'Etat (Russie, source gouvernementale), ou manque d'effectifs (trop peu rémunérés dans les services sociaux publics) occasionnant de longs délais pour le traitement des demandes (République tchèque, source gouvernementale).
27. Dans les économies en transition, des franges de la population qui auparavant se sentaient relativement à l'abri du besoin sollicitent aujourd'hui une protection sociale au motif qu'elles doivent supporter une part disproportionnée du coût de la mutation. Même le fait d'avoir un emploi ne signifie pas automatiquement que l'on gagne suffisamment pour faire face à ses besoins. Les salariés recherchent donc des activités rémunérées parallèles – en occupant deux emplois ou plus –, le plus souvent dans l'économie souterraine. En Russie, l'effondrement de l'ancien système socio-économique, la restructuration de l'économie qui s'en est suivie, les effets de la libéralisation des prix, l'inflation élevée, la suppression des subventions etc., se sont ainsi accompagnés d'une forte poussée, en nombre comme en intensité, de la pauvreté. D'après le Centre d'études fédéral du niveau de vie, le taux de pauvreté était estimé en 1995 à 40% (soit 60 millions de personnes) de l'ensemble de la population. Les déshérités représentent donc le groupe le plus vulnérable de la société - et pas seulement en Russie -, parce qu'il est le plus exposé à toute une série de risques. Ce sont également eux qui ont le moins accès aux services qui leur seraient utiles, car les prestations ne sont pas payées à ceux qui y ont droit – ou le sont avec beaucoup de retard.
28. L'un des traits saillants de la structure de la population démunie en Russie, c.à.d. de l'ensemble des personnes qui ne disposent pas du minimum vital, est le nombre de “travailleurs à faibles revenus” (Osadchaya, G. et al., 1997). Selon une récente enquête longitudinale menée dans ce pays, 66% des pauvres en fait travaillent et la plupart d'entre eux forment des familles avec enfants. Le taux de pauvreté le plus élevé est observé dans les familles qui comptent trois enfants ou plus – ce qui est également le cas dans d'autres pays – et chez les personnes très âgées, principalement les veuves. Outre qu'elles sont insuffisantes au départ, les pensions servies à ces dernières ont subi – et subissent encore – une érosion due à l'inflation (36,5% en 1999). Les principales raisons de la pauvreté sont, comme il a déjà été indiqué, les retards dans le versement ou le non-paiement des salaires, pensions et prestations des travailleurs aussi bien que des bénéficiaires des prestations. Le système de protection sociale est confronté au grave problème que pose le remboursement des arriérés de salaires. Un remboursement global de ces créances s'avère impossible, les entreprises n'en ayant pas les moyens (la dette était estimée à quelque 18 milliards de roubles en 1999, selon une enquête TACIS ACE). Quant au régime d'assistance sociale à l'échelon local, qui prévoit essentiellement des prestations en nature plutôt qu'en espèces, il semble qu'il n'y ait guère d'informations ni sur son fonctionnement ni sur le nombre de ses bénéficiaires (Osadchaya, op.cit.).
Régions vulnérables
29. S'agissant des “obstacles physiques (géographiques)” évoqués par le questionnaire, un certain nombre de pays ont estimé que l’accès des populations rurales aux services de protection posait problème, quels que soient souvent leur localisation géographique sur le continent européen et la taille de leur territoire. Les conditions climatiques, notamment les hivers longs et rigoureux, aggravent la difficulté en Europe septentrionale et extrême-orientale. De nombreux pays disposent néanmoins de réseaux denses de points d’accueil qui en facilitent l’accès. Dans d'autres pays aux contrées faiblement peuplées, comme la Norvège ou l'Islande, les contacts se font bien souvent par téléphone, par fax et par courrier électronique. Quelques pays moins étendus où les distances sont relativement courtes (Estonie - source gouvernementale; ONG irlandaise) ont fait était dans leurs réponses d'une inadéquation des transports publics – trop peu de trains et d’autobus en desserte locale, horaires et coût trop élevés de ces modes de transport pour les personnes à revenus modestes. Dans le plus vaste pays d'Europe, la Fédération de Russie, une source gouvernementale indique que les habitants des zones reculées se trouvent privés de certains services toute l’année durant. Il semblerait aussi que des services publics de protection sociale soient supprimés dans certaines régions, principalement à la périphérie de la Fédération de Russie, notamment dans des parties de la Sibérie où les exploitations minières d'or et de tungstène, voire toutes les industries, ont été abandonnées, ou dans des colonies implantées dans les régions polaires.
III. Problèmes d'organisation et de gestion (coordination entre les prestataires de services)
30. Généralement, la protection sociale est assurée à différents niveaux de gouvernement: national, régional et local. L'idée prévaut qu'un système décentralisé autorise une plus grande souplesse et une meilleure capacité d'adaptation aux besoins régionaux et locaux. Même si la décentralisation peut prendre des formes diverses, les responsabilités doivent dans l'absolu être clairement attribuées à chacun de ces niveaux et ne pas être éparpillées. Les systèmes de protection sociale s'articulent d'ordinaire autour de plusieurs grandes branches - pensions, santé, soutien de la famille, invalidité, assistance sociale, etc. - qui sont gérées de manière autonome, avec leurs propres règles et règlements concernant l'ouverture des droits aux prestations et leur application. Tout blocage ou obstacle au niveau de la communication et dans la coordination des prestations et services entre les différentes branches débouche toutefois, dans bien des cas, sur des problèmes dont les usagers finissent par faire les frais. Les réponses au questionnaire, de même que d'autres sources, fournissent un certain nombre d'exemples qui illustrent la diversité des écueils que l'on peut rencontrer.
31. Les réponses indiquent que la "définition et [la] répartition peu claires des compétences, responsabilités et obligations" - pour reprendre les termes de la question - sont souvent perçues comme des obstacles majeurs. Plusieurs pays sont aux prises avec des problèmes similaires dans l’organisation des soins de santé. Comme l’indique un pays au système de santé très avancé, les différents services ne sont pas suffisamment intégrés et ne coopèrent pas toujours, d'où une hospitalisation inutilement longue des patients. De plus, la coopération entre les différentes professions de santé n’est pas suffisamment étroite pour garantir les meilleurs soins possibles. Trop d'examens diagnostiques et d'actes médicaux sont ainsi pratiqués sans être toujours médicalement justifiés. Un autre pays lui aussi doté d'un système de santé très exigeant déplore l’éclatement des responsabilités dans ce domaine, qui sont ici réparties entre l’administration centrale (ou fédérale) de la santé et les établissements de soins régionaux / provinciaux et locaux. Ce manque de coordination et de liens nuisent à la qualité des soins (Allemagne et Autriche, services de santé publics). Un rapport de l'OCDE de 1998 sur le système de santé finlandais – fort bon au regard de la plupart des indicateurs sanitaires – fait toutefois état de problèmes résultant des grandes disparités régionales en matière de dépenses par habitant et d'actes thérapeutiques, d'un contrôle municipal insuffisant sur les prestataires de services, de chevauchements dans les services et de systèmes de financement parallèles.
32. Dans certains pays qui doivent composer avec ce que l'on appelle des “systèmes socio-économiques difficiles" – du fait de la transition qu'ils ont opérée pendant la dernière décennie vers un modèle économique et social obéissant à la logique du marché -, le dispositif de protection sociale est considéré comme étant encore fluctuant et toujours incomplètement structuré. En matière d'assistance sociale et de services sociaux en particulier, le fait qu'il n'y ait pas d'indications claires quant à la répartition des attributions et des responsabilités, surtout au niveau local et régional, est source de frictions. Dans plusieurs de ces pays, un mouvement de décentralisation est en cours, mais sans garantie que les autorités locales censées fournir les services qui sont de leur ressort disposeront des ressources nécessaires. En Russie, selon des sources gouvernementales, les points faibles de la gestion du système résident dans le partage des responsabilités entre autorités fédérales, régionales et locales. Il semblerait que cela soit dû, en partie du moins, à l'absence d'une délimitation claire des compétences, ce qui permet à un échelon du pouvoir d'en tenir un autre pour responsable de la fourniture des services ou de lui attribuer la charge.
33. Pour autant, ces problèmes ne sont pas propres aux pays dont l’économie était auparavant planifiée au niveau central. En Italie par exemple, on estime de source gouvernementale que les règles du système complexe de protection sociale sont loin d’être homogènes: établies en différentes périodes depuis 1945, elles n'en sont pas moins toujours en vigueur et sont de ce fait difficiles à cerner. L’une des grandes difficultés mentionnées par la même source vient du manque d’équilibre entre les dépenses consacrées aux retraites et celles affectées à l'assistance sociale, qui ne reçoit qu'une fraction assez maigre du budget social global alors qu'elle représente un droit inscrit dans la Constitution. En l’absence d’une loi nationale sur l’assistance sociale, les différentes administrations qui s'occupent des prestations de santé et des prestations sociales sont fragmentées et ont des attaches différentes en termes de compétences qui se répartissent entre les autorités nationales, régionales et locales.
34. Les réponses fournies par un pays en particulier, l'Irlande (source : diverses ONG irlandaises), font ressortir l’absence de système intégré de prestation des services en matière de protection sociale, l’aide étant fournie par un certain nombre d'organismes administratifs différents. Il n'y a guère de chances que la non-admission au bénéfice d'une prestation donnée débouche sur l'octroi d'une autre prestation. Des interventions telles que la garantie de revenu, la prise en charge des soins de santé, les aides au logement, etc., sont soumises à des critères de ressources différents, bien que les renseignements à fournir pour chaque demande soient foncièrement identiques. Les mêmes sources précisent que le personnel ignore souvent tout des autres services, ce qui les amène à conclure que seuls les organes d’information indépendants ont une vision d'ensemble du système de protection et d’aide sociales dans leur pays. En Suisse, une source du secteur des ONG explique que chaque branche du régime de sécurité sociale helvétique a son propre cadre législatif. Il en résulte de grandes disparités au niveau de l'application des textes, dans les prestations, ainsi que dans l’organisation administrative et financière, ce qui rend l’accès aux prestations difficile à cause de la complexité du système et du manque de coordination entre ses différents éléments. La même source considère que les systèmes de droits et prestations sont trop morcelés et manquent donc de transparence. Il semblerait que cela soit dû à l'organisation du système de protection et au fait qu'à l'intérieur de celui-ci, les prestations et services ne soient pas suffisamment coordonnés et harmonisés. En Suisse de surcroît, certaines branches telles que la maternité et les prestations familiales continuent d'être gérées par les cantons - ce qui signifie 26 codes législatifs différents - bien qu'elles soient, sur le plan constitutionnel, de la compétence du pouvoir fédéral (Bonoli G., 1997).
35. La France et la Grèce sont deux autres pays où le régime d'assurance ou de protection sociale est très morcelé. Le système français comprend une série de régimes de base obligatoires (santé, pensions de vieillesse, prestations familiales, etc.) auxquels toute personne qui travaille est tenue de s'affilier, et un certain nombre d'autres régimes destinés à améliorer le niveau de couverture, notamment dans les secteurs de la santé et de la vieillesse, regroupés par secteur économique (agriculture, commerce et industrie) et par catégorie socioprofessionnelle (cadres – ouvriers/employés). Près de 20% de la population est ainsi assurée par quelque 120 régimes spéciaux gérés par diverses caisses au niveau national, régional et local. (Palier B., 1997). Il en va de même en Grèce, où les régimes d'assurance sociale, d'assistance sociale et de soins de santé sont éparpillés entre 300 caisses regroupant un grand nombre de catégories professionnelles et couvrant environ la moitié de la population. La multiplicité des structures qui s'occupent de l'organisation et de la gestion de ces régimes engendre d'importantes disparités quantitatives et qualitatives dans la couverture assurée et son financement. En dernier ressort, le pouvoir de décision revient presque exclusivement à l'Etat (Papadopoulos T., 1997).
36. Un autre exemple de la diversité des liens entre pouvoir central et administrations locales est celui du Royaume-Uni où, sur la répartition des tâches au sein de l'Etat-providence vient se greffer un partage des responsabilités à l'échelon géographique. Cette répartition géographique du travail se traduit par le fait que les tâches afférentes à la fourniture - ou au contrôle du respect de la fourniture - de nombreux services sont affectées à diverses autorités locales. Si les responsabilités sont faciles à identifier, la difficulté vient de ce qu'elles changent assez régulièrement de mains. En Ecosse et au Pays de Galles, les "conseils de district" (administration locale) sont chargés des services sociaux, mais en Angleterre, ceux-ci incombent à cinq types différents d'instances locales: à côté des corps élus, il existe toute une série d'organismes locaux non élus qui s'occupent de divers aspects bien précis de la protection sociale (Cochrane A., 1997). Même à travers cette description très simplifiée d'un système hautement complexe, on s'aperçoit que "ce que l'on qualifie faussement de liens entre pouvoir central et administrations locales se caractérise en réalité par des réseaux complexes qui se recoupent, ce qui contribue à tisser un Etat-providence bâti davantage sur un ensemble de relations que sur une entité unitaire et indifférenciée" (ibid.).
IV. Partenariat avec des organisations non gouvernementales en vue d'améliorer l'accès à la protection sociale
37. Une étude comme celle-ci, qui repose sur des informations provenant aussi bien d'instances gouvernementales que d'organisations bénévoles non gouvernementales travaillant dans le secteur de la protection sociale, soulève par la force des choses des questions sur les rapports entre les unes et les autres. Certes, ces rapports se sont compliqués au cours des dernières décennies en raison d'un individualisme plus marqué, du déclin des structures familiales traditionnelles et de la diversification croissante des populations due à d'imposants flux migratoires. Par contre, la communication et la coopération entre les services publics et les ONG se sont peu à peu améliorées, à mesure que l'on est rendu compte que l'Etat ne pouvait – et ne devait – ni instituer ni mettre en œuvre tout l'éventail des services de protection sociale. La tradition d'engagement volontaire ancrée de longue date en Europe occidentale a fait que l'Etat-providence a toujours pu compter ici sur la participation active des citoyens –principale caractéristique d'une société civile – et sur le rôle majeur joué par les organismes bénévoles. Ce rôle s'exerce essentiellement au niveau national et local – bien que les ONG internationales aient pris une importance considérable –, où ils se placent souvent comme intermédiaires entre les citoyens et l'Etat. Même si les ressources financières, les rapports de force et l'influence politique des ONG varient grandement selon leur type, toutes contribuent à mettre en avant les besoins de certaines catégories de la population, ce qui finit par aboutir à l'adoption de nouvelles politiques ou d'une nouvelle législation. On observe également de grandes différences dans la manière dont s'organise la coopération entre bénévoles et professionnels d'une part, et entre les autorités nationales et municipales chargées de la protection sociale d'autre part. Cette diversité dans les rôles dévolus à l'Etat et aux organismes non gouvernementaux et bénévoles s'explique par les traditions historiques et culturelles propres à chaque pays.
38. D'une manière générale, les ONG occupent un terrain qui se situe entre le secteur public et le secteur privé, avec des objectifs sociaux qui ne sont pas, pas encore ou plus couverts comme ils le devraient, ni par l'un ni par l'autre. Ainsi, le fait que l'Etat se mette de plus en plus en retrait permet aux collectivités locales et au secteur associatif de s'implanter petit à petit comme prestataires de services dans le domaine de la santé et de la protection sociale. Qui plus est, en assurant, en fournissant et en procurant des services sociaux et sanitaires, les ONG remplissent – à en juger par les réponses au questionnaire - toute une série de fonctions: information, entraide, défense des droits individuels et collectifs, expérimentation de nouvelles approches pour certains services, lutte pour les droits sociaux, ou encore critiques constructives. Ce rôle critique n'est pas toujours apprécié des pouvoirs publics, car ce faisant, les ONG soulèvent des questions sur les droits et les pouvoirs des usagers, sur l'exclusion et sur l'égalité. Les ONG ont favorisé – et continuent de plus en plus à le faire – l'émergence dans les services publics d'une approche axée sur les consommateurs, approche qui associe ces derniers - c.à.d. les usagers et les bénéficiaires de prestations et services - à la conception et à la fourniture de services sociaux publics.
39. L'un des principaux volets de l'approche axée sur le consommateur est l'amélioration de l'accès aux services, en d'autres termes la nécessité de faire en sorte que l'on puisse les obtenir plus facilement (1) en décentralisant la fourniture des prestations vers de petites structures locales dans et hors du secteur public, (2) en modifiant la façon dont les services sont dispensés et (3) en veillant à ce que les services proposés soient totalement intégrés. Les services proposés dans le cadre d'un quartier, d'une famille et d'autres petits entités de taille “humaine” sont, quasiment par définition, plus accessibles. Ce point est particulièrement important pour ceux qui sont tributaires de leur environnement immédiat en raison d'une mobilité réduite, de ressources insuffisantes ou de contraintes familiales. La décentralisation peut donc être considérée comme un facteur essentiel de toute réforme des services sociaux publics.
40. Le rôle des organismes bénévoles a été souligné dans un document présenté lors de la 24ème Session extraordinaire de l'Assemblée générale des Nations Unies le 23 juin 2000 (A/S-24/2/Add.2 (Partie II). Ce document invite les Etats membres à “promouvoir la contribution que le bénévolat peut apporter à l'instauration de sociétés soucieuses du bien-être de leurs différents groupes comme mécanisme supplémentaire de promotion de l'intégration sociale. ... La Commission du développement social est invitée à examiner la question en 2001, Année internationale des Volontaires .... à favoriser la participation des bénévoles au développement social, notamment en encourageant les gouvernements, compte tenu des vues de tous, à mettre au point de vastes stratégies et programmes, en sensibilisant l'opinion à la valeur du bénévolat et aux possibilités qu'il offre, et en créant un cadre porteur à l'intention des particuliers et autres composantes de la société civile, afin qu'ils puissent prendre part à des activités bénévoles, et du secteur privé, afin qu'ils les soutiennent” (paragraphes 54 et 55).
41. Quelques exemples puisés dans les Etats membres du Conseil de l'Europe ont été choisis pour illustrer le rôle du bénévolat dans le domaine social. En Finlande, les services sociaux sont pour la plupart dispensés par les collectivités locales et sont financés grâce aux impôts municipaux, à des subventions de l'Etat et à une participation demandée aux usagers - à hauteur de 10% des coûts. Il peut arriver que ces services ne parviennent pas jusqu'à certaines personnes qui en ont réellement besoin; aussi les organismes bénévoles sont-ils souvent considérés comme “les mieux à même de s'occuper des laissés pour compte qui en ont été exclus” (VIP, 1999). Selon cette même source, les statistiques et les travaux de recherche montrent clairement que de nouvelles fractures se produisent dans la société, entraînant dans leur sillage l'exclusion d'individus et de groupes vulnérables. Le secteur associatif tient donc une place importante en Finlande, avec plus de 100.000 organismes bénévoles recensés (pour une population de 5 millions d'habitants) et environ 700.000 volontaires participant à divers types d'activités. Ces organismes assurent près du quart des services de santé et de protection sociale.
42. L'initiative britannique baptisée “Home Start Programme” illustre ce qu'est le bénévolat de proximité. Gérée par des volontaires des quartiers concernés qui ont pour eux l'expérience d'avoir élevé leurs propres enfants, elle consiste à offrir aux autres familles soutien, amitié et assistance concrète. Lancé en 1973, le programme intègre à présent sous sa bannière 200 agences Home Start, avec plus de 5.000 bénévoles. Chaque agence est tenue par un coordinateur rémunéré, responsable du financement du programme et du recrutement des bénévoles. Le programme entend venir en aide aux parents isolés, aux foyers ayant des enfants handicapés, aux familles arrivées depuis peu dans un quartier, aux mères célibataires, etc. Des programmes identiques existent en Suède à l'intention des malades mentaux traités en régime ambulatoire, ainsi qu'aux Pays-Bas (Initiative ‘Optap’ pour l'intégration des jeunes ou des familles immigrées qui viennent de s'installer dans un quartier) et en Allemagne (“Familien im Stadtteil”). Aux Pays-Bas, une source explique que “la politique menée par le Gouvernement sur le front de l'immigration, de la pauvreté et de l'inégalité scolaire va "de haut en bas", tandis que les associations et les groupes de citoyens – c.à.d. les ONG – essaient de s'attaquer au problème "de bas en haut"" (Gabriels R., 1999). Une ONG a ainsi lancé des régimes d'aides en créant des caisses d'épargne et de crédit sans but lucratif qui concèdent des prêts aux migrants. En Autriche aussi, il semblerait que des ONG s'activent en faveur des migrants: des groupes de bénévoles aident ici ces derniers à s'intégrer en leur proposant des cours de langue et en leur prodiguant informations et conseils. L'une de ces initiatives s'est vu décerner le "Refugee Award" du UNHCR en 1996.
43. Le ministère danois des Affaires sociales a intensifié sa coopération avec des organismes bénévoles subventionnés dont les interventions, qui complètent celles des professionnels, ont donné de bons résultats, notamment parmi les groupes les moins favorisés. Le travail bénévole vient ainsi renforcer l'action des pouvoirs publics. On a constaté au Danemark que des particuliers, des groupes de citoyens, des associations communautaires locales, etc. proposaient souvent des solutions et des idées originales pour travailler ensemble. L'expérience montre en outre que les initiatives bénévoles sont souvent plus souples et ont une portée plus profonde et plus vaste que les mesures émanant des pouvoirs publics. La raison en est peut-être l'approche adoptée par ces organismes, grâce à laquelle usagers et travailleurs bénévoles se retrouvent sur un pied d'égalité. Au Danemark, la coopération avec les associations bénévoles consiste généralement pour les autorités locales à mettre à leur disposition des locaux et du matériel; certaines reçoivent également une aide financière. En Italie, où le bénévolat est régi par la loi (Loi n° 266 de 1991), ce secteur est en constante progression depuis le milieu des années 90 et coopère avec les autorités locales en dispensant des services sociaux dans le cadre de la loi. Il offre des services qui complètent ceux, souvent insuffisants, que proposent les prestataires publics sur le plan socio-sanitaire (VIP, 1999).
44. En Europe centrale et orientale, les organisations non gouvernementales étaient tombées dans l'oubli pendant les dizaines d'années de régime totalitaire. Lorsque celui-ci s'est effondré en 1989, elles ont refait surface et ont rapidement commencé à mener des activités dans différents secteurs. Le changement de régime a incité bon nombre de citoyens à s'impliquer pour défendre des causes qui leur semblaient importantes. Les nouvelles initiatives concernaient – et concernent encore – pour la plupart la protection de l'environnement, la protection sociale et la politique sociale, ainsi que l'aide humanitaire. Le nombre d'ONG a considérablement augmenté dans la majorité de ces pays, mais, comme le souligne une étude, “elles sont le plus souvent, au mieux, tolérées par les pouvoirs publics et rarement considérées comme des partenaires ... (même si) de plus en plus de programmes supranationaux et internationaux, y compris les programmes du UNHCR, le programme Phare de l'UE, le programme TACIS, etc., appuient le travail que font les ONG partenaires comme prestataires de services sociaux ” (Deacon B.,1997).
45. En Pologne, il semble que les ONG "prolifèrent, signe d'une nouvelle dynamique citoyenne qui bute cependant sur l'absence de soutien et d'encadrement par les pouvoirs publics ...Tout le problème réside dans le transfert de compétences, qui doivent être dévolues à des instances décentralisées (c.à.d. municipales) et à des associations privées et bénévoles à but non lucratif, notamment des ONG " (POMOST- Entraide,1998). Dans ce pays, quelque 3.500 organisations opèrent activement comme prestataires, c.à.d. proposent des biens et services essentiels aux pauvres, aux personnes âgées, aux personnes seules ou handicapées, etc., ou comme associations ou groupes de défense des intérêts des catégories précitées. Un certain nombre de problèmes – qui ne sont pas inconnus des ONG des pays de l'Union européenne – sont apparus en Pologne et doivent encore être réglés; on songe, pour n'en citer que quelques-uns, au partage clair des responsabilités entre les autorités nationales, régionales et locales d'un côté et les ONG de l'autre, à l'élaboration d'un cadre juridique approprié régissant la coopération entre organismes publics et ONG, ou encore à l'octroi par l'Etat d'aides financières aux ONG (ibid.)
46. En République tchèque, le système de sécurité sociale tel qu'il a été réorganisé en 1996 repose sur trois éléments: assurance sociale, revenu minimum versé par l'Etat et assistance sociale, et il bien délimité sur le plan financier et administratif. L'assurance sociale et le revenu minimum obéissent au principe de solidarité énoncé dans la législation sociale, tandis que l'assistance sociale concerne les individus et les besoins non couverts par les deux autres régimes et est censée empêcher les situations de pauvreté et de dénuement par le biais de prestations en espèces, d'un minimum vital (nourriture, vêtements et logement) et de services sociaux. Ce régime est financé par des subventions de l'Etat aux collectivités locales. Une source indique cependant que “les autorités locales ne sont ni préparées ni suffisamment organisées pour faire face à la demande potentielle ... de sorte que ce sont les associations bénévoles et les œuvres de bienfaisance qui sont fortement sollicitées pour assurer des aides et des services au niveau local” (Castle-Kanerova, M., op. cit.).
47. Des informations en provenance de Hongrie signalent également le rôle croissant joué ici par le secteur associatif; en 1998, on y recensait plus de 50.000 organisations civiles bénévoles proposant informations, soins médicaux, services de garderie, soins à domicile, etc. (Szeman, Z.,1999). Les bénéficiaires de ces services étaient des jeunes (51%), des personnes âgées (44%), des personnes handicapées (31%), des personnes en mauvaise santé (30%), des familles en difficulté (28%) et des déshérités (25%). Plus de la moitié des 3.000 collectivités locales ont passé des accords de coopération avec les organisations en question. Cette situation résulte des bouleversements qu'a connus le système en 1990, lorsque l'Etat a décidé de se démarquer progressivement de l'activité économique et des services de protection et d'assistance sociale.
48. En résumé - ainsi qu'il est dit en substance dans un récent rapport de la Commission européenne sur “La situation sociale en Europe en l'an 2000” -, les données scientifiques sur le bénévolat et l'activité bénévole dans les Etats membres sont certes fort peu nombreuses, mais celles qui existent laissent à penser que le phénomène est important et va en s'accroissant. Et ce rapport d'ajouter que, selon une enquête menée auprès de plus de 20.000 personnes partout en Europe, un Européen sur quatre accomplit des tâches non rémunérées pour toute une série de causes charitables et d'associations bénévoles. L'idée de citoyens de la société civile choisissant d'eux-mêmes d'agir pour le bien commun fait également son chemin, comme on l'a vu plus haut, dans les pays d'Europe centrale et orientale.
Références
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Vic, G. and Rimachevskaya, N., “Poverty in Russia”, in International Social Security Review (Geneva) 1/1993.
Annexe - Questionnaire sur l’accès a la protection sociale
Les informations à recueillir par le biais de ce questionnaire visent l’ensemble des prestations de la sécurité sociale et de l’assistance sociale ainsi que celles offertes par les services sociaux existants, qu'elles soient octroyées au niveau national, régional ou local.
Pourriez-vous décrire brièvement le système de protection sociale de votre pays (système de sécurité sociale, assistance sociale, services sociaux).
A- Obstacles
I. Obstacles généraux
1.1- Dans l’accomplissement de leur mission de protection sociale, les personnes ou institutions en charge de la gestion des prestations et des services sociaux rencontrent-elles des difficultés particulières pour fournir ces prestations ou ces services ? (par exemple par: manque de ressources, formation inadéquate du personnel, définition et répartition peu claire de leurs compétences, responsabilités et obligations).
II. Obstacles structurels
2.1- Au niveau des prestations et des services existants, merci de bien vouloir indiquer:
a) l’efficacité des recours administratifs mis en place (veuillez fournir des statistiques sur le niveau des refus de prestations et de services et sur la proportion de refus donnant lieu à recours).
b) les relations existantes entre les différents services de prestations sociales et les décideurs en vue d’orienter le bénéficiaire vers l’organe compétent en cas d’erreur (ces relations sont-elles suffisamment étroites?).
c) les conséquences d’une éventuelle carence d’informations.
d) l'éventuelle interdépendance entre l’accès aux différentes prestations ou services.
2.2- Existe-t-il une forme d’exclusion en cascade suite au non accès à l’une de ces prestations ou services?
III. Obstacles pratiques et administratifs
3.1- Veuillez décrire des obstacles de nature pratique ou administrative rencontrés par les bénéficiaires des prestations sociales et/ou des services sociaux comme par exemple :
a) obstacles physiques
b) niveau qualitatif de l’offre
c) niveau quantitatif de l’offre
- ressources humaines mises à disposition
- ressources financières et/ou matérielles (budget affecté à la prestation ou aux services concernés, moyens informatiques, liste d’attente pour obtenir une prestation ou un service social)
IV. Obstacles psychologiques
4.1- Existe-t-il des prestations ou des services qui suscitent un sentiment de stigmatisation sociale chez le bénéficiaire ? Si oui, quels types de prestations et quelles sont les conséquences d’une telle stigmatisation ? (par exemple: auto-censure des bénéficiaires: limitation ou non-introduction des demandes de prestations ou de services; incidence sur la santé; marginalisation sociale des bénéficiaires (personnes âgées, handicapés, minorités ethniques, etc…))
4.2- Existe-t-il des prestations ou des services qui suscitent des sentiments de crainte chez certains bénéficiaires, sentiments ayant pour effet de limiter l’accès à ces mêmes prestations ou services ? (par exemple monde hospitalier, médecins, machine bureaucratique); si oui, veuillez décrire les conséquences de la limitation de l'accès à ces prestations ou services.
4.3- Connaissez-vous d’autres barrières psychologiques à l’accès à la protection sociale ? (par exemple l’isolement psychologique de certains ayants droit).
V. Obstacles liés à la communication
5.1- Considérez-vous que l’information diffusée concernant les droits aux prestations et les procédures existantes pour leur mise en oeuvre sont suffisantes?
5.2- Le développement des nouvelles technologies a-t-il porté préjudice à certains bénéficiaires au niveau des conditions d’octroi ou d’introduction de demandes des prestations ? (par exemple informatisation du paiement des soins de santé, remboursement sur compte bancaire, etc.)
VI. Obstacles socio-culturels
6.1- A votre connaissance, existe-t-il des groupes minoritaires qui resteraient en dehors de certaines prestations ou services ou dont l’accès à certaines prestations ou services serait rendu plus difficile ?
6.2- Le faible niveau d’éducation de certaines personnes ou groupes de personnes présente-t-il une incidence sur l’accès effectif à certaines prestations ou services ? (par exemple existe-t-il des procédures particulières pour les illetrés ou personnes d’un niveau socio-culturel défavorisé ?)
VII. Autres types d’obstacles
Avez-vous connaissance d’autres types d’obstacles à l’accès aux prestations ou aux services sociaux qui n’auraient pas été relevés ci-dessus ? Si oui, pouvez-vous les décrire sommairement ?
B-Exemples de bonnes pratiques et de mesures innovatrices
Dans le but de remédier aux obstacles relevés dans la partie A du présent questionnaire, connaissez-vous des mécanismes ayant été mis en place au niveau national, régional ou local et qui présentent un intérêt pour favoriser l’accès effectif aux prestations ou aux services sociaux ?
ADDENDUM
Plusieurs instruments du Conseil de l’Europe dans le domaine de la sécurité sociale et de l’assistance sociale (notamment la Charte Sociale européenne et la Charte révisée) sont brièvement cité au paragraphe 17. Depuis sa création, le Conseil de l’Europe a étudié la question des droits des travailleurs migrants et élaboré des instruments ayant pour but de faciliter leur accès à la protection sociale. Les instruments du Conseil de l’Europe dans le domaine de la coordination des régimes de sécurité sociale sont actuellement en vigueur dans plusieurs Etats membres.
Les Accords Intérimaires européennes concernent les régimes de sécurité sociale et la Convention européenne de sécurité sociale couvrent les neuf branches traditionnelles de la sécurité sociale. Les Accords Intérimaires européennes ont un double objectif : assurer l’égalité de traitement, sur le territoire de chaque Partie contractante, entre les nationaux de cette Partie contractante et ceux des autres Parties contractantes vis à vis des lois et des règlements de sécurité sociale et étendre à tous les ressortissants des Parties contractantes les avantages des conventions bilatérales et multilatérales de sécurité sociale conclues entre deux ou plusieurs Parties contractantes liées par les Accords Intérimaires. La Convention européenne de sécurité sociale inclut les quatre principes fondamentaux du droit international de la sécurité sociale : égalité de traitement, unicité de la législation applicable, conservation des droits acquis et l’octroi des prestations à l’étranger.
En vertu de la Convention européenne d’assistance sociale et médicale, chaque Partie contractante prend des dispositions pour que les ressortissants des autres parties contractantes en séjour régulier sur son territoire et qui sont dans le besoin, reçoivent l’assistance sociale et médicale requise par leur état dans les mêmes conditions que ses ressortissants.